Guillaume Linossier : « Nos chaussures respectent la planète »
A 40 ans, Guillaume Linossier a voulu retrouver ses racines et vivre selon ses convictions écologiques. Revenu en Savoie avec sa famille pour élever ses filles à la montagne, il conçoit des chaussures « cool et écoresponsables » qui ne laissent qu’une infime trace sur l’environnement. Avec humilité et ténacité, il explore de nouveaux modes de production et soutient des actions en faveur de la biodiversité.
Votre engagement vient-il d’une récente prise de conscience ?
Pas vraiment : tout jeune, je voulais exercer une profession en lien avec la protection de l’environnement. J’ai renoncé au cursus scientifique nécessaire… mais pas à mes idées ! J’ai été responsable export pour le groupe Lafuma en Europe de l’Est et en Scandinavie pendant 4 ans, puis j’ai dirigé pendant 13 ans la filiale américaine du groupe dans le Colorado. À mon retour en 2015, j’ai souhaité revisiter les standards de l’industrie outdoor en créant Saola.
Comment vous distinguez-vous sur le marché de l’outdoor ?
J’ai choisi précisément le marché de la chaussure parce qu’il compte peu d’acteurs engagés, contrairement au secteur textile. Notre industrie produit 25 milliards de paires chaque année. Elle offre donc un espace à tous, géants ou très petits. Notre marque, Saola, s’est donnée deux missions : l’innovation en écoconception et le soutien de la biodiversité.
Comment sont fabriquées les chaussures Saola ?
La conception a démarré en 2016 grâce à la plateforme de financement participatif Kickstarter. L’incubateur Outdoor Sports Valley d’Annecy m’a apporté les expertises indispensables en phase de développement. Le design et la recherche de matières recyclées ou biosourcées sont réalisés en France. Je mise surtout sur les matériaux pour diminuer notre empreinte carbone. Nous n’utilisons pas de cuir. La tige (le dessus des chaussures) est en bouteilles de plastique recyclées (PET) ; les semelles intérieures intègrent de la poudre d’algues collectées par Bloom Foam, une équipe qui nettoie les lacs envahis d’algues nocives. Les lacets sont en coton biologique venu de champs où pesticides et engrais chimiques sont remplacés par un compost naturel. Le dessus des semelles intérieures est en liège, confortable même pieds-nus. De nouvelles pistes sont à l’essai, comme la tige en feuilles de bananier qui sera lancée cet été, une semelle en lait d’hévéa et des solutions d’étanchéité à base de cire d’abeille ou de marc de café.
Votre entreprise porte le nom d’un bovidé asiatique, l’une des 100 espèces les plus menacées au monde. Pourquoi ?
Parce que Saola reverse 1% du revenu de ses ventes à des projets qui défendent la biodiversité. La biodiversité se dégrade, le bilan est alarmant : il y a 60% de moins de vertébrés qu’il y a 40 ans, 50% du corail a disparu en 30 ans… Cette année, nous aidons le Kenyan Patrick Kilonzo et son organisation Mwalua Wildlife Trust. Patrick habite à proximité de parcs nationaux où de nombreux animaux meurent de la sécheresse qui touche l’Afrique de l’Est. De gros problèmes de santé ne l’ont pas empêché de prendre son courage à deux mains et de créer des points d’eau pour abreuver les animaux.
Votre production respecte l’environnement, mais comment se situe Saola sur les plans économique et sociétal ?
Nous avons réalisé une très bonne année 2019 avec 700 000 € de chiffre d’affaires. Ma priorité : internaliser les compétences de nos experts pour pérenniser leurs emplois sur notre site d’Annecy. Embaucher les indépendants qui développent le design, la conception, la communication et la commercialisation de Saola constitue une étape importante que nous espérons maintenir en septembre.
Quel est l’impact de la crise liée à l’épidémie de Covid-19 sur votre entreprise ?
Une nouvelle levée de fonds devait me permettre d’accélérer notre croissance en 2020, nous avions reçu les matières premières pour fabriquer la collection printemps-été mais nos revendeurs ont fermé. Les annulations de commande (nous exportons principalement aux USA) nous ont fait perdre 35% de notre chiffre d’affaires. Nous avons renoncé à produire la collection automne-hiver : nous n’étions pas en mesure de la financer, même si nous avons développé nos ventes en ligne. Nous subirons encore les effets de cette crise en 2021 puisque nos clients auront encore nos collections de printemps-été en stock.
Quelles sont les solutions auxquelles vous avez réfléchi pour retrouver de l’élan ?
Nous cultivons notre style intemporel : mieux vaut ne pas programmer l’obsolescence d’un modèle. Il doit pouvoir durer et passer les saisons sans être démodé. Ensuite, je pense qu’il faut produire au plus près de nos clients et rester accessible au plus grand nombre. Nos clients se situant aux USA, en Nouvelle-Zélande, aux Philippines, nos chaussures sont assemblées dans des usines vietnamiennes qui respectent les chartes sociales et environnementales imposées par les grandes marques. Nos matériaux sont différents mais nos modèles sont fabriqués sur les mêmes chaines d’assemblage que ceux des grands groupes. Pour notre marché européen, je cherche à identifier des fournisseurs portugais et espagnols qui ne fabriquent pas exclusivement avec des matières premières ? chinoises pour rester compétitifs. C’est un vrai challenge !
Qui sont vos clients et vos diffuseurs ?
Nos clients ressemblent aux « ambassadeurs » qui testent nos prototypes. Ils portent nos chaussures tous les jours, pour leur confort, leur esthétique, et parce qu’ils sont sensibles à notre message. Nos produits sont accessibles sur notre site, sur les plateformes et dans les boutiques multimarques axées sur l’écoconception, en Allemagne, en Suisse, en Savoie et Haute-Savoie (chez Picture, marque certifiée B CORP – distinction pour les entreprises engagées sur les aspects environnementaux et sociaux). Nous serons cette année au Vieux Campeur et chez Snowleader et dans de petites boutiques éthiques de Lyon et Bordeaux.
> Voir l’article sur La mode « verte » grimpe en Savoie et Haute-Savoie