Laurent Deléglise : « Cette saison d’hiver au ralenti nous a laissé le temps de retisser des liens et d’élaborer de magnifiques projets pour les années à venir ».
Echappé quelques années de sa Maurienne natale pour faire ses premiers pas professionnels, Laurent Deléglise a vite retrouvé sa terre natale. Avec l’esprit pionnier de son père et de son oncle qui ont créé, avec d’autres, les premières remontées mécaniques de La Toussuire, il dirige la SOREMET depuis 2006. Bien loin de l’expansion euphorique des années 70, il a choisi, en pleine concertation, une stratégie de développement durable pour une station en harmonie avec la belle nature du massif d’Arvan-Villards.
Laurent Deléglise, êtes-vous Savoyard d’origine ?
Ah oui ! Je suis parti faire des études technico-commerciales et de gestion à Grenoble et dans le Sud de la France. J’ai dirigé une société de distribution de courrier médical à Grenoble, puis une agence de travail temporaire à Saint-Jean-de-Maurienne. Doucement, je me suis rapproché de mon territoire… j’avais envie de revenir au pays ! En septembre 2006, ma candidature au poste de Directeur proposé par la SOREMET a été retenue. L’histoire est belle…
Que faisait votre famille à Saint-Jean-de-Maurienne ?
Mon père était gérant d’une société qui fabrique (toujours) des grues pour les ports maritimes. Avec mon oncle, le week-end, il a implanté des remontées mécaniques et je fais aujourd’hui le lien avec cette génération qui nous a légué sa ténacité et son ingéniosité. La Toussuire compte encore beaucoup d’acteurs locaux parmi ses commerçants, ses hébergeurs, ses pisteurs, ses moniteurs… Notre aventure commune, fondatrice, est très importante sur le plan humain. Elle a été écrite par des visionnaires, engagés pour la vie de leur territoire, qui se sont alliés pour développer notre domaine skiable et ce, depuis 2003. Avec nos partenaires des sociétés d’exploitation des domaines skiables du Corbier et de Saint-Sorlin-d’Arves… les fondations de notre secteur sont solides et notre développement est un challenge collectif passionnant.
Quelle est votre ambition pour les Sybelles ?
Comme nos actionnaires, nos dirigeants, nos collaborateurs, je suis fier de travailler pour ce domaine skiable qui rassemble La Toussuire, Le Corbier, Saint-Sorlin-d’Arves, Saint-Jean-d’Arves, Les Bottières et Saint-Colomban-des-Villards. Parce que nos clients aiment la dimension humaine de nos stations. La Toussuire ne compte que 14 000 lits touristiques mais nous faisons tout pour que ces lits soient « chauds », c’est-à-dire avec une garantie de remplissage lissé sur les saisons, grâce à différents services. Pour l’économie locale, la SOREMET qui gère le domaine de la Toussuire et des Bottières, investit dans des opérations immobilières de qualité.
Qu’avez-vous prévu pour l’exploitation du domaine skiable ?
Nous ne voulons pas multiplier les remontées mécaniques. Au contraire, nous remplaçons le parc existant par des appareils plus performants. Les téléskis disparaissent au profit des télésièges. Résultat : l’impact visuel des installations est limité, leur consommation énergétique est rationalisée, les appareils sont plus sécures pour les utilisateurs et ils arrivent tout en haut des pentes ! Là-haut, même les moins expérimentés profitent d’un panorama époustouflant. Pour nous, c’est un bonheur immense de voir les skieurs émerveillés par la vue de la Pointe de l’Ouillon. Ils peuvent ensuite descendre, en toute sécurité, en prenant leur temps avec la piste bleue.
Votre gestion de la neige change-t-elle avec le réchauffement climatique ?
Bien sûr, et La Toussuire veut jouer un rôle phare dans ce domaine : notre logique écologique va au-delà des pistes. Pas seulement en disposant des poubelles sur le domaine. Nous utilisons la neige de culture pour sécuriser notre activité. Mais pour préserver notre paysage, nos zones humides fragiles, notre ressource en eau, nous nous interdisons de tout enneiger. Nous utilisons une électricité verte issue de nos barrages hydroélectriques. Nos engins de pistes sont équipés de capteurs pour damer au plus juste. Notre connaissance fine du manteau neigeux nous permet de programmer la sécurité des pistes, leur balisage, le déclenchement d’avalanches, pour que le site soit praticable par la clientèle. Nous sommes accompagnés par un observatoire environnemental extérieur qui nous fait des recommandations. Lorsque nous faisons des travaux, par exemple, la terre végétale est décapée puis remise à sa place, sans dommage.
Comment avez-vous géré cette saison d’hiver sans précédent avec votre équipe ?
Nous aurions dû être 120, dont 16 permanents, sur notre zone de chalandise. La commercialisation, la vente de forfaits, la maintenance, l’exploitation des télésièges, l’administration… tout était prêt. Malgré nos protocoles, aucune ouverture n’a été permise, même avec une jauge à 50%. Nous nous sommes sentis incompris : attendre des décisions, manquer de visibilité a été compliqué et l’est encore. Nous avons réagi en embauchant notre personnel saisonnier sous contrat pour qu’il soit au chômage partiel et ne soit pas pénalisé par les circonstances. Notre structure va perdurer grâce au soutien de l’Etat mais les gens ont besoin de se sentir utiles, ils ont d’ailleurs souvent donné des coups de main à leur famille.
Quelles solutions alternatives avez-vous proposé à la clientèle ?
En période de vacances scolaires, la SOREMET a offert le damage des pistes de luge et de ski de randonnée, des circuits de raquettes et de ski de fond. J’ai la chance d’avoir un encadrement proche et motivé, c’est très appréciable dans ces moments-là. Honnêtement, je me baladais le cœur serré dans la station qui vivotait… Mais je rencontrais des familles qui me disaient « Enfin, ici, on respire ! » Alors oui, la vocation de la montagne est sauve. Et puis nous préparons l’été, nous allons dynamiser la station avec des activités ludiques comme le big air bag et le tubing, des plages horaires étendues de remontées mécaniques pour les promeneurs. Nous avons surtout un vaste projet pour 2023. Tous les opérateurs du domaine skiable des Sybelles (SATVAC, SAMSO et SOREMET) se réunissent pour travailler sur l’aménagement estival d’un espace nature, accessible avec nos remontées, sur le plateau de l’Ouillon, à 2430 m d’altitude.
Que retiendrez-vous de cette crise Covid 2020-2021 ?
Nous avons eu une belle saison d’été 2020 avec une surprise touristique à la clé : les Français ont découvert la montagne et beaucoup de propriétaires qui ne venaient que l’hiver ont apprécié les Alpes en été. Le volet social, avec les indemnisations de l’Etat, a permis à notre écosystème de perdurer. Mais je pense aux hébergeurs : il y aura sans doute un frein sur les investissements dans les années à venir. Notre entreprise a géré le quotidien sous le contrôle du STRMTG (Service Technique des Remontées Mécaniques et des Transports Guidés) qui chapeaute notre activité. Nous avons effectué les tâches d’intersaison, formé du personnel, préparé l’hiver prochain… Cette pratique au ralenti nous a donné le temps d’échanger, en tant que délégation de service public, avec l’Office du Tourisme et la Mairie sur les activités à proposer à nos clients. Ce dialogue nous a fait du bien et j’espère que nous allons continuer à travailler main dans la main.