Gérard Mattis : « Notre famille participe à la vie de Val d’Isère, toujours avec audace et prudence. »
Hôtelier, moniteur de ski, marchand d’articles de sport… Les innombrables casquettes de Gérard Mattis révèlent son rôle-clé dans la vie économique de Val d’Isère. Mémoire du village, il est aussi un acteur engagé de la station, pour l’amour des siens et de la Montagne.
Les cinq doigts de la main
Sa grand-mère, Cécile Mattis, veuve de guerre en 1916, se voit attribuer un bureau de tabac par la patrie reconnaissante. Dans les années 20, elle crée le deuxième hôtel de la station, le Bellevue, secondée par son fils Roger et sa femme Yvonne.
« La création du pôle hôtelier de mes parents date de 1947, l’année de ma naissance, rappelle Gérard Mattis, petit dernier de la fratrie. Nous n’avions pas de maison de famille, mes quatre frères et moi sommes nés à l’hôtel, notre père allait chercher la sage-femme à Tignes. »
L’attraction de l’Iseran
52 permis de construire plus tard, l’hôtel familial accueille dans les années 60 la clientèle francilienne qui a pris goût au ski. Les premiers téléphériques grimpent au sommet depuis 1934, le verrou du col de l’Iseran a sauté en 1936. La communication avec la Haute Maurienne permet l’ascension des motards, des vélos, des voitures de collection… Les étapes du Tour de France aimantent le grand public. « Les aménageurs visionnaires ont équipé le village. Nous, les Avalins, nous avons développé le reste avec notre ténacité. Mon père était notre pilote. Nos premiers prêteurs étaient les Tignards qui avaient touché les indemnités de la noyade de leur village pour l’édification du barrage, en 1952. La Banque de Savoie a ensuite permis le développement de nos entreprises. Les directeurs d’agence n’étaient pas des hommes de passage et ils nous ont donné l’audace d’entreprendre. »
Chacun son métier
Le talent de chacun des cinq frères fait prospérer le patrimoine de leur grand-mère ; en 1993, leurs activités sont réunies dans le Groupe Mat Brothers qui répartit les charges et porte leur plan de développement. Autour du pôle hôtelier – le Tsanteleina **** et la Maison de famille Les 5 frères*** – la fratrie se diversifie.
Guy, le frère aîné, prend le relais pour la gestion des hôtels. Philippe (champion de France des moniteurs) et Gérard inaugurent les stages de ski et le package ski + hôtel. Ils ouvrent également les magasins de prêt-à-porter et de matériel de sport qui servent les amateurs de glisse sur le front de neige. Yvon lance le Safari photo de la Vanoise et la découverte des plantes médicinales ; il est maire de Val d’Isère de 1977 à 1983. Alain sauvegarde la tradition culinaire de la famille : il devient Chef de cuisine de l’hôtel et garde la ferme familiale. Aujourd’hui, après la disparition de ses quatre frères, Gérard poursuit l’aventure avec sa fille. « Audrey est monitrice mais elle gère aussi la Maison de famille des 5 frères avec ma nièce. La cinquième génération partage la passion du métier et la modestie qui était celles de nos parents. »
Le Tsanteleina à l’heure du coronavirus
Quand l’hôtel phare de la famille doit fermer temporairement pour cause de covid, sa gérante, Margaux Mattis, crée la boutique Matt’s Délicatessen et vend des sandwiches froids ou chauds, des salades, des plats cuisinés, des desserts à emporter. L’esprit de famille persiste… « Malgré une perte de 75% de notre chiffre annuel, nous avons maintenu les emplois qui font notre image de qualité. Nos Chefs de cuisine à l’année sont nos piliers ! »
Un geste inattendu
Homme d’influence, Gérard Mattis est membre de l’Union des commerçants et de l’Office du Tourisme de Val d’Isère. Mais c’est en tant qu’élu qu’il a marqué les esprits. En mars 2020, il est « force de proposition plutôt que d’opposition » dans l’équipe municipale minoritaire. Le maire lui demande d’assurer l’intérim jusqu’au 25 mai. « Je cherche alors à atténuer l’anxiété qui nous a saisis le samedi 14 mars à 22h30, lorsque nous avons appris que les remontées mécaniques fermaient. Les clients arrivés le jour même sont repartis le dimanche… La cacophonie régnait en Europe, ma priorité était la santé et j’ai pensé que les recommandations gouvernementales n’étaient pas suffisantes. J’ai recensé les aînés de 80 à 95 ans. J’ai voulu les protéger et sensibiliser toutes les générations. J’ai imposé un arrêté de port du masque obligatoire lors des déplacements dans les rues, avec l’appui d’un conseil scientifique. Face aux difficultés administratives, j’ai pris la décision de commander moi-même 100 000 masques pour 70 000€. Ils ont été livrés à Val d’Isère par des transporteurs polonais et distribués à tous les aînés. Les communes alentours nous en ont acheté. »
Changer l’expérience de la montagne
Pour Gérard Mattis, la crise en cours a renforcé la prise de conscience environnementale mais il n’oublie pas le volet social : « Il faut améliorer l’hébergement des actifs en montagne. On ne peut pas loger les saisonniers à Bourg-Saint-Maurice et leur demander d’emprunter une route accidentogène. Nous devons les accueillir dans des logements individuels. »
Sur le plan touristique, il voit la Montagne devenir un « espace de liberté et de ressourcement. L’effet covid nous amène à un carrefour de consommation et de civilisation. Le tourisme de masse est révolu. Nous ne devons plus construire à outrance. Pour respecter le territoire et ses occupants, nous devons nous recentrer sur la qualité de notre offre. Au sommet d’une piste, par exemple, nous pourrions installer une signalétique pour orienter les skieurs vers les zones d’initiation ou les zones « tranquilles ». Pour le damage qui consomme beaucoup d’énergie, nous pourrions poser des radars dans les chenillettes et travailler les pistes avec une meilleure approche. Nous devrions ouvrir des circuits de ski de randonnée, faciliter la pratique du ski de fond, du skating, revoir le positionnement de notre parc de location… »
Rester fidèle à l’esprit du lieu
Malgré les pertes enregistrées cet hiver, Gérard Mattis reste optimiste. « Nous aurons des difficultés pendant deux ans qui seront aplanies avec le vaccin. Les amoureux du site, nos premiers influenceurs, sont venus cette saison et sont repartis avec le sourire. Comme nous, ils aiment Val d’Isère, quoiqu’il arrive. Pour eux, j’ai créé une médaille de fidélité en 1992, quand j’étais président de l’Office du tourisme. La médaille de bronze récompense 20 ans de présence, l’argent 30 ans, l’or 40 ans et le Grand Or reconnaît plus de 50 ans de fidélité. Nous avons déjà 1850 médaillés, dont 250 Grand Or ! »