Lorris Martiningo : « Dans mon atelier, on brasse la bière en ajoutant nos émotions dans la recette. »

 Dans Savoyard de coeur

Douze ans de carrière dans le management des biens et activités culturels mènent Lorris Martiningo de Venise à Paris. Il commercialise des catalogues de CD et vinyles, avant que ces supports ne se diluent dans l’ère du streaming et de la digitalisation. Avec humilité, il change d’univers et apprend alors tous les métiers de La Beer Fabrique de Paris. D’assistant brasseur à dirigeant, un fil rouge guide son ascension : le goût d’apprendre et de partager.

Après une carrière dans l’industrie culturelle, vous avez choisi la bière par goût ?

Il est vrai que la bière a toujours eu une place particulière dans ma vie, au point de devenir une passion. Et dorénavant un métier ! Les fameuses troisièmes mi-temps du rugby, la vie étudiante et ses voyages m’ont appris à apprécier ses nuances, mais c’est une opportunité professionnelle inattendue qui m’a fait entrer dans le monde de la bière.

J’ai répondu à une offre de poste sur LinkedIn qui conjuguait mes goûts et mes compétences. Une start up de Tel Aviv cherchait un directeur opérationnel pour exploiter la data recueillie sur les installations de bière pression. Une niche novatrice et pour moi, un poste responsabilisant qui m’a permis de rencontrer énormément d’acteurs du secteur brassicole, fabricants et distributeurs et de la région parisienne. Les financements ont été coupés au bout de deux ans : les cafés se sont opposés massivement à la collecte de données sur le tirage pression.

Après cette approche digitale et connectée, comment avez-vous plongé dans la fabrication de la bière ?

Je me suis mis à brasser moi-même très tôt dans ma cuisine et dans ma salle de bain ! Je me suis pris au jeu et j’ai réussi mes premières bières. L’essor phénoménal de la brasserie artisanale française m’a encouragé à suivre la formation professionnelle en microbrasserie dispensée par La Beer Fabrique à Paris. Je voulais simplement pousser la porte de micro-brasseries pour leur proposer mes compétences commerciales, mais je suis tombé amoureux du concept de La Beer Fabrique qui permet à ses clients de fabriquer eux-mêmes leurs propres breuvages. Pendant deux ans, j’ai appris tous les métiers de cette entreprise pour maîtriser toutes les subtilités de l’activité. Son fondateur, Martin Pellet, a accepté mon projet de duplication de l’enseigne à Lyon. Je voulais me rapprocher de mes racines savoyardes qui sont aussi celles de mon épouse, pour retrouver nos familles et profiter de la nature avec nos deux petites jumelles.

Comment animez-vous cette nouvelle franchise « à la mode lyonnaise » ?

J’organise des événements d’entreprise, des rencontres avec des brasseurs, des soirées de dégustation associant mets et bières. Les team building rassemblent jusqu’à 35 personnes sur 10 plans de travail, beaucoup moins en période de distanciation. Les participants découvrent toutes les étapes du brassage, de la sélection de matières premières à la dégustation de différents styles de bière au comptoir. Ils choisissent l’une de nos 7 recettes (blonde, blanche, ambrée, triple, Indian Pale Ale, American Pale Ale, porter) et la réalisent en 4 heures. Leur bière fermente 15 jours et ils reviennent pour embouteiller 18 litres de bière chacun, en 36 bouteilles de 50cl. Je fournis les étiquettes personnalisées sur lesquelles est inscrit le nom que chacun souhaite donner à sa production. La dégustation se déroule ensuite, entre collègues.

Quelles qualités requiert l’animation de ces ateliers ?

Endosser un rôle pédagogique demande beaucoup de préparation. Je m’informe constamment, je m’imprègne de l’histoire et de l’actualité de la bière, je lis beaucoup de livres de recettes. Comme je ne peux pas connaître toutes les bières du monde, je suis friand des expériences des participants, qui me racontent énormément d’histoires incroyables sur ce thème. Ces moments de convivialité m’ont permis de redécouvrir ma personnalité. Pour délivrer mes connaissances et capter l’attention, j’adapte mon discours aux différents publics, je deviens « acteur » ! Quand je partage ma passion, je n’ai plus rien à vendre. Je suis extrêmement reconnaissant envers ces personnes qui me consacrent 4h de leur temps : je veux leur rendre la confiance qu’ils m’accordent en leur offrant un moment qui reste gravé dans leur mémoire.

Quels sont les publics que vous accueillez dans votre atelier ?

Côté entreprise, je rassemble des professionnels de tous les secteurs : services ou industrie. Quand le dialogue s’instaure au cours des ateliers, peu importent l’âge et le statut social, l’interaction se prolonge au-delà de nos sessions et c’est très gratifiant pour moi. J’ai beaucoup appris de ces rencontres. Des professionnels de la gestion de l’eau m’ont donné des astuces pour améliorer mon système et économiser cette ressource. Des scientifiques de l’industrie pharmaceutique m’ont donné des informations sur l’analyse bactériologique des bières, etc. Quand je reçois des particuliers, les aînés me racontent la fabrication de la bière familiale par leurs grands-mères dans les fermes de la région… La bière rassemble toutes les générations.

Quelles sont vos perspectives de développement ?

Il existe à Lyon une formidable émulation autour de la gastronomie et à 37 ans, j’ai envie de réinventer mon métier, en échangeant avec des professionnels d’autres secteurs. Je cultive le partage de savoirs et d’expertises. Avec la cantine mexicaine qui assure le service traiteur de mes ateliers, j’ai testé l’assemblage des saveurs cactus, tequila, mezcal… avec une nouvelle bière relevée de deux piments ! Tisser des lieux entrepreneuriaux, créer des synergies me tient à cœur. Je suis par exemple partenaire de l’Institut Paul Bocuse.  J’accompagne un groupe d’élèves qui crée un restaurant éphémère pendant sa semaine d’intégration en orientant le choix des bières de sa carte « biéronomique », pour affiner sa concordance avec les plats.

J’ai envie d’ouvrir les portes de ma brasserie et de développer des projets bien ancrés dans le paysage lyonnais. Je suis prêt à élaborer une recette au café avec un torréfacteur, à concocter une bière à la praline rose avec un pâtissier… à inviter des cuisiniers et d’autres brasseurs artisanaux à faire découvrir leurs produits chez moi. Pour répondre à des demandes de bières spéciales pour des événements familiaux, des cadeaux d’entreprises ou pour des restaurateurs qui veulent leurs propres bières, je vais investir en 2021 sur un outil de production plus conséquent.

 

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