Ludovic Puget : « Le ski à roulettes Nordeex associe passion sportive et savoir-faire familial »

 Dans Savoyard de coeur

Au lycée sport-études de Thonon, Ludovic Puget rêvait de devenir footballeur professionnel ou professeur de gym. Mais trop d’entraînement, trop de blessures… le mènent à l’IUT d’Annecy où il apprend les techniques de commercialisation. C’est à cette période qu’il construit son réseau d’amis et de partenaires. Aujourd’hui, il dirige les entreprises Cellifold et Nordeex, deux pépites de savoir-faire qui mutualisent leurs moyens et s’imposent sur leurs marchés.

 Que vous a apporté votre première vie professionnelle dans le secteur du métal ?

J’ai suivi la voie ouverte par mon grand-père chaudronnier et par mon père, directeur de deux divisions de la société Cellier métallurgie pendant 35 ans. C’est au sein de cette entreprise que j’ai appris tous les métiers, du commerce itinérant à la gestion des achats en passant par la logistique et la production. J’y suis resté avant quand elle a été achetée par Jacquet, spécialiste mondial du découpage des aciers inoxydables et alliages de nickel. Une expérience enrichissante, complétée par celle de chef de produit à Bourges pour le groupe de sidérurgie allemand ThyssenKrupp (135 000 employés, 16 agences en France). En 1999, mon père [Jean-Claude Puget] a créé Cellifold dont l’objet social est de concevoir, fabriquer et commercialiser des manifolds* et autres accessoires d’instrumentation, destinés à toutes les branches de l’industrie : chimie, pétrochimie, pharmacie, nucléaire, papeterie, agroalimentaire… J’ai repris cette entité en 2007 pour revenir en Savoie et oublier les milliers de kilomètres qui m’avaient éloigné trop souvent de mon épouse et de mes filles.

Comment avez-vous négocié ce tournant dans votre vie ?

A 40 ans, mon épouse et moi avons appuyé sur le bouton « reset », vendu notre maison pour acheter Cellifold, retapé une vieille maison de famille à Brison-Saint-Innocent, changé de métier. Ma femme a quitté ses activités et s’est formée pour m’épauler en comptabilité et… nous avons subi la crise économique de 2008 de plein fouet ! Nous avons perdu 42% de notre chiffre d’affaires en un an, fait le dos rond et trouvé une solution. Nous avons décidé de créer des « moutons à 5 pattes », des produits sur-mesure à haute valeur ajoutée. Ces pièces, devenues des standards pour chacun de nos clients, nous protègent de la concurrence, mais nous n’avons jamais retrouvé notre niveau d’activité d’avant la crise des subprimes qui a fortement impacté le marché de l’instrumentation.

Comment avez-vous complété vos revenus ?

Les gens de notre village sont de grands sportifs, des « fondus » de montagne. Ils ont insisté pendant des années avant que j’accepte de les suivre sur les pistes de ski de fond. J’ai commandé mon matériel à Noël 2011, pris mon premier cours avec Mathieu Noly (directeur d’un foyer de ski de fond) le 26 décembre 2011 et j’ai couru la Savoyarde (30 km) en mars 2012 ! J’étais stupéfait de retrouver mes sensations de sportif, et encore plus étonné de me lancer dans une nouvelle aventure, inspirée par mon coach. Mathieu Noly m’a proposé de créer des skis-roues pour notre entrainement d’été. Je me suis pris au jeu : avec quelques éléments métalliques et des roues de rollers, j’ai construit une paire très basique. Mathieu a trouvé le concept génial et nous avons parcouru 2 500 km entre mai et octobre, sur les bords du lac du Bourget. En janvier 2014, nous déposions notre marque, Nordeex !

En cinq ans, comment votre entreprise a-t-elle évolué ?

Nous pensions « bricoler dans le garage » mais notre première gamme, élaborée en 7 mois, a été essayée en juillet 2014 par l’Equipe de France de sprint de ski nordique. Une semaine après, Nordeex est devenu son fournisseur officiel de rollerski ! Nous remercions le biathlète savoyard Alexis Bœuf, parrain de notre marque, de lui avoir lui a donné une crédibilité très rapidement et le distributeur Ekosport qui nous a commandé 100 paires dès la première année. Aujourd’hui, nous équipons les fédérations françaises de ski de fond, biathlon et combiné nordique. Le ski à roulettes, qui sert plus longtemps dans l’année pour l’entraînement que le ski tout court, va sans doute devenir un sport de compétition à part entière d’ici quelques années !

Les fondeurs et biathlètes français sont-ils vos seuls clients ?

Nous avons fabriqué 120 paires de skating et 100 paires de « classique » dédiées aux compétitions nationales sur lesquelles l’ensemble des athlètes membres de l’équipe de France cours, entre autres : Martin Fourcade, Maurice Manificat, Baptiste Gros (sprint), Julia Simon (biathlon). Nous sommes, par la suite, devenus partenaires des formations professionnelles Gel Intérim Rossignol (puis Job Station) ou Haute-Savoie Nordic Team (e-liberty Ski Team aujourd’hui). Nous équipons aussi les fédérations canadienne, ukrainienne et italienne de biathlon ; nous visons celles de Russie, de Suisse, d’Espagne. Nous sommes fiers de travailler avec Dorothea Wierer, biathlète italienne qui totalise 46 podiums en coupe du monde, dont la mass-start des Championnats du monde 2019. Marie Dorin-Habert, médaille d’or à PyeongChang en 2018 du relais mixte (avec Anaïs Bescond, Simon Desthieux et Martin Fourcade) a mis fin à sa carrière mais nous continuons à travailler ensemble depuis qu’elle a ouvert un resort adapté aux sportifs, l’hôtel ZeCamp à Corrençon-en-Vercors, avec son mari et Robin Duvillard. Nous venons de leur livrer 10 paires stickées ZECAMP avec le nom des athlètes que Robin prépare à la Foulée blanche de janvier 2020.

La personnalisation du matériel fait partie de votre stratégie marketing ?

Absolument ! Nous proposons 4 couleurs différentes et des stickers au nom des teams ou des clubs. Nous avons 3 teintes supplémentaires pour les athlètes, des stickers détourés associés à un vernissage « carrosserie » qui donne à notre matériel l’allure d’un « accessoire de luxe ». Cette tendance à la personnalisation touche tous les marchés, à nous de la suivre !

Techniquement, comment vos gammes se sont-elles imposées sur le marché ?

Notre ski est fiable et performant pour plusieurs raisons : il est monobloc, donc il n’y a pas d’usure de pièces soudées ou pliées, seulement les fixations, les roues et les garde-boues à installer. La visserie est intégrée au ski-roue et se monte et se démonte avec une simple clé Allen©. Le profil du ski permet de l’incliner sans que les vis ou l’arête ne viennent racler le sol et provoquer une chute. Nous avons développé un ski à roulettes pour le « classique » équipé d’un système anti-recul intégré à la roue avant, pour retrouver la même sensation que sur la neige.

Quelle est votre politique en matière de R&D ?

Nous faisons appel à des ingénieurs produits dans tous les domaines pour sortir la meilleure version complète. Lorsque mon associé, Mathieu Noly, est parti, Grégoire Deschamps est entré dans l’entreprise. Ce responsable matériel et glisse encadre les techniciens de l’Equipe de France de biathlon. Il nous apporte une vision nouvelle, une crédibilité au niveau technique et nous embauchons son frère Louis, ex-coureur, en tant que saisonnier. Il fait partie des meilleurs testeurs de matériel : il a « l’intelligence du pied ». Notre matériel utilise des matériaux essentiellement recyclables et nous travaillons avec des fournisseurs et des sous-traitants de proximité (certains collaborent aussi avec Cellifold) pour minimiser notre impact environnemental.

Le grand public a-t-il accès à vos produits ?

Oui, sur notre site nordeex.com, dans les magasins Ekosport, au Vieux Campeur et dans les boutiques au pied des massifs, comme Worden à Chambéry. Notre matériel plaît aux débutants comme aux compétiteurs et nous développons pour chaque produit une version enfant pour que chacun puisse équilibrer plaisir, performance et liberté. Nous sommes partenaires du Comité de Savoie, du Comité du Mont-Blanc, de clubs de ski comme celui de la Feclaz, de certaines écoles de ski avec des rollerskis logotés ESF. Les exploitants de stations ouvrent des pistes de ski à roulettes de mai à octobre, une activité qui fait travailler deux moniteurs à Corrençon, par exemple. Nous avons signé une convention avec cette station et nous lui louons 18 paires à la saison. Le Club Alpinum nous a acheté un parc de 37 paires cette année, pour la toute nouvelle piste des Contamines qui diversifie les plaisirs des athlètes et des comités d’entreprise.

Quelles sont vos ambitions pour les années à venir ?

Je suis impatient de déléguer quelques-unes de mes nombreuses fonctions pour ouvrir des pistes commerciales à l’export, créer une ligne de vêtements en textile thermique (fibres bio), un sac de transport pour nos skis à roulettes, une gamme fitness. Les coachs de fitness s’intéressent à notre matériel : avec des roues lentes, le rollerski gaine tous les muscles, alors que le roller ne travaille que le bas du corps. Nous pourrions donc repenser la chaussure, le nombre de roues, les bâtons, le design global pour explorer ce secteur et gommer notre saisonnalité. En doublant le panier moyen, nous espérons atteindre, voire dépasser le million d’euros annuel dans 4 ans. Nous sommes leaders sur le marché français et notre progression est l’une des plus fortes dans le monde derrière le norvégien IDT, selon le Daily Skier. Cette reconnaissance nous donne confiance pour aborder les marchés scandinave, russe, nord-américain, chinois. Pour orchestrer cette expansion, nous allons communiquer plus largement et ouvrir notre capital à des personnes souhaitant rejoindre l’aventure. En quelques années, notre entreprise installée au Créalys de Savoie Hexapôle s’est distinguée : elle a remporté le prix départemental Artinov en 2016, puis toujours dans la catégorie produit, le prix régional, en 2017 et le Coup de cœur 2018 de Chambéry Grand Lac économie. Nordeex mérite d’être connue !

Dans quel esprit allez-vous développer vos effectifs, votre outil industriel ?

Nous allons nous adapter en douceur. Je tiens à évoluer dans un milieu qui respecte les valeurs auxquelles je tiens. J’aime l’authenticité des gens des montagnes, leur simplicité, leur courage, forgés par la rudesse du climat. Nous avons un tempérament particulier, sans doute transmis par atavisme, que je reconnais partout dans les Alpes et qui donne la priorité aux valeurs humaines. Que nous soyons Latins des deux Savoie ou d’Italie, ou de culture germanique du Tyrol, nous nous entendons tous à demi-mot.

Une fabrication presque 100% française

  • Profilés aluminium (France)
  • Usinage (France)
  • Usinage jantes (Italie)
  • Peinture (France)
  • Visserie (France)
  • Roulements à bille (France)
  • Roues (France)
  • Garde-boue (Chine)

* Systèmes de multi-vannes en acier inoxydable

 

Voir le site : nordeex.com

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